Les
femmes enceintes ou jeunes mères migrantes, réfugiées, fragilisées par
leur situation de grande précarité ici
et par des parcours migratoires où la violence a été omniprésente, sont de plus
en plus nombreuses en région parisienne.
Nous menons des programmes qui s’adressent à elles et à
leurs enfants. Ils visent à améliorer le suivi de leur grossesse et de ses
suites immédiates ainsi qu’à la prévention des troubles de la relation précoce
mère-enfant et de ses conséquences à long terme sur la santé de l’enfant.
Ces programmes comportent 2 volets :
Des groupes de parole correspondant à une préparation à
la naissance et à la parentalité adaptée au contexte spécifique dans lequel se
trouvent ces jeunes femmes.
Des consultations de médiation éthnoclinique qui s’appuie sur la
psychanalyse et l’anthropologie, pour celles qui nécessitent une prise en
charge psychothérapique.
Les groupes de
parole : « L’arbre à Palabres »
La grossesse
est une période de fragilité
particulière. Elle fait resurgir les
traumatismes anciens ou dévoile les conflits internes mais aussi ravive ”le
monde d’avant”.
Chez
ces femmes, aux difficultés habituelles liées à la maternité viennent se surajouter
celles liées à une histoire souvent traumatique (beaucoup ayant dû faire face à
de grandes violences, dans leur pays ou au cours de leur trajet). La migration et à
l’appartenance à plusieurs cultures compliquent la situation. Elles vont en effet vivre
un des actes fondamentaux de leur vie de femme dans un monde étranger, loin de
leur soutien traditionnel et « cet acte engage leur descendance, ceux qui
naîtront dans cet ailleurs » nous dit M R Moro.
En
outre, elles vivent souvent très isolées, dans un contexte de pauvreté,
d’exclusion et sont plus souvent porteuses de pathologies parfois négligées.
Ces difficultés en interférant vont se renforcer et générer des pathologies obstétricales, des suivis
chaotiques, de l’anxiété et des dépressions.
Ces troubles, si on les laisse évoluer,
vont interférer dans la relation de cette mère avec son enfant et mettre en jeu
la santé physique et mentale future de celui-ci. Si associe également un risque
de maltraitance quand cette mère est dans l’incapacité psychique de porter
l’attention nécessaire à son enfant.
A la
maternité des Bluets depuis les années 50 et F Lamaze, les dimensions
psychiques, sociales puis culturelles avaient été prise en compte dans le suivi
des futures mères. J’y avais créé en 1995 et coanimé pendant près de 20 ans, de
1995 à 2013, un groupe de parole pour les patientes migrantes ce qui nous avait
permis d’améliorer
le suivi, la compliance aux soins et le soutien émotionnel des futures mères
migrantes et en situation de précarité.
Dans le
cadre de mon travail à l’association AHUEFA, il m’a paru pertinent de créer des groupes de
paroles similaires à celui des Bluets dans différents lieux de Seine Saint
Denis. Nous avons le projet d’en créer également sur Paris.
Les futures mères que nous voulons
prendre en charge sont fragiles, souvent
seules, déprimées et ont du mal à se déplacer. Aussi, nous envisageons
de les rencontrer dans les lieux où elles sont suivies ou hébergées.
De tels
groupes fonctionnent déjà en Seine Saint Denis. Un 1er groupe a
démarré en mai 2015 dans les locaux de l’hôpital de Montreuil. Les femmes qui
participent à ce groupe nous sont adressées par les différentes PMI de la
circonscription de Montreuil ou par le personnel soignant de l’hôpital.
Un 2ième
groupe a démarré en juin 2016 à l’association La Marmite à Bondy, un jeudi par
mois après le repas distribué gratuitement, ce qui me permet de rencontrer de
nombreuses femmes enceintes ou ayant de très jeunes enfants et en situation de
grande précarité.
Ces groupes ont pour objectif :
- d’aller à la rencontre des patientes migrantes les plus
précaires, fragiles ou en difficulté de par leur histoire personnelle, leur
isolement et d’établir le dialogue entre elles et nous.
- de leur procurer un lieu où elles peuvent exprimer
leurs craintes, leurs angoisses mais aussi leurs éventuelles incompréhensions
d’ici et où elles peuvent évoquer ce qu’elles ont laissé derrière elles.
- de les informer sur le fonctionnement de l'hôpital,
l’organisation des soins en dehors de l’hôpital, les raisons du suivi médical,
les raisons de certaines décisions médicales, etc…) et d’insister sur les
ressources de la PMI.
- d’essayer d’apporter des réponses adaptées aux
incompréhensions et conflits que les différences culturelles peuvent parfois
générer et que peuvent provoquer des décisions médicales mal comprises.
- de leur procurer un peu du soutien dont toutes
femmes enceintes a besoin et dont manque tellement celles qui sont loin de leur
famille et de leurs racines.
Ce programme procure un
espace où ces patientes peuvent s’exprimer dans un rapport différent avec les
soignants.
Elles s’y rencontrent
autour de leur situation commune, une grossesse en terre étrangère, quelle que
soit leur origine. Elles apprécient de pouvoir partager le souvenir de leur vie
et des coutumes de leur pays. Ces évocations constituent un élément important
de la dynamique du groupe et dans l’instauration d’un climat de confiance et de
dialogue.
Entre 2 mondes, ces femmes vont avoir à s’adapter aux
normes et contraintes d’ici, à nos façons de faire tout en continuant à
utiliser certaines techniques de maternage culturellement importantes pour
elle. C’est ce métissage, qui va leur permettre de se sentir de
« suffisamment bonnes mères » et les aider à établir une bonne
relation avec leur enfant.
De par les échanges avec nous et grâce à l’interaction
avec les autres femmes présentes, nos groupes de parole peuvent les aider dans ce travail de
métissage. Ils les aident aussi à lutter contre les sentiments d’inadéquation
et d’incompétence que peuvent développer ces jeunes mères loin de leurs repères
et soutiens traditionnels, d’autant plus qu’elles sont confrontées ici à une
situation précaire et à de nombreuses difficultés.
Le groupe joue à
plein un rôle d’enveloppe et de milieu de médiation.
Des amitiés s’y nouent.
Beaucoup pour la 1iere fois osent parler des ruptures ou des traumatismes
qu’elles ont subi (viol, mariage forcé, enfants laissés au pays, etc.)
Il permet de résoudre un
certain nombre de problèmes et d’améliorer significativement le suivi et le
vécu de beaucoup d’entre elles.
La consultation
ethnoclinique:
Repérées
dans les groupes de parole ou adressées par le personnel soignant ou
psycho-social qui les prennent en charge, certaines
de ces futures ou jeunes mères sont en grande détresse, traumatisées,
angoissées. Elles n’arrivent plus à faire face et développent des dépressions
sévères, parfois larvées et des états anxieux très préoccupants.
Pour celles-ci, AHUEFA propose une prise en charge
psychologique avec une approche transculturelle par la médiation
ethnoclinique qui s’appuie sur la
psychanalyse et l’anthropologie.
Que la problématique
de la mère soit liée aux violences qui l’ont amenée à fuir son pays ou qu’elle
a subi durant le trajet ou encore à des
traumatismes plus anciens en relation avec son histoire personnelle ou
familiale, le fait de vivre dans une culture autre que la sienne, loin de ses
repères va toujours imprimer sa marque et est un facteur d’aggravation.
D’autre part, la grossesse et ses suites
immédiates abaissent les barrières entre conscient et inconscient et on a pu
parler de « d’inconscient à ciel ouvert». C’est un temps particulièrement
propice au travail psychothérapique car si cette « inconscient à ciel
ouvert » favorise l'expression des conflits, il permet également de cheminer
rapidement et quelques séances durant cette période sensible vont parfois pouvoir résoudre ce qui en temps
normal aurait mis des mois à s'élaborer.
Chez les patientes immigrées, la «
psychothérapie classique » est souvent mise en défaut et donne le sentiment de
ne pouvoir aller au-delà d'une certaine limite. En effet, les violences subies
peuvent être indicibles ou envahissantes et si les troubles psychiques sont
universels, leur traduction, leur expression sont imprégnées et modifiées par
la culture. La façon de les aborder doit tenir compte de cette dimension.
Seuls, des psychothérapeutes formés à l’éthnopsychiatrie, à l'approche
transculturelle et à la clinique du traumatisme vont pouvoir aider ces
patientes en prenant en compte l'ici comme le là-bas et en prenant appui sur
les deux cultures.
Les futures mères
que nous voulons prendre en charge sont fragiles, souvent très déprimées et ont
du mal à se déplacer. Les envoyer dans un lieu spécifique pour ce travail
psychothérapique est rarement possible. Par contre nous envisageons de les
rencontrer là où elles sont suivies (elles ou leur enfant) ou dans les lieux où
elles viennent chercher de l’aide ou sont hébergées.
Les séances sont dirigées par
une ethnopsychologue (psychologue-anthropologue)
L Ekoué, directrice de l’association AHUEFA,
assistée d’un autre psychologue et d’un médecin obstétricienne également formés
à l’ethnopsychiatrie, d’un interprète (formé et faisant également partie de
l’association).
Le groupe thérapeutique
constitué ainsi autour de cette patiente inclura si possible un ou des
soignants ou personnel déjà impliqués dans le suivi de cette patiente ou de son
enfant.
Le nombre de séances varie en
fonction des besoins et de l’évolution de chaque patiente. Elles sont vues en
moyenne 5 à 6 fois.
Ce type de prise en charge est
particulièrement adapté quand ces femmes relient directement leur malaise à des problèmes ayant entrainé
la migration ou survenu du fait de cette migration ou celles qui présentent une symptomatologie codée
culturellement.
Le suivi par la
sage-femme de PMI ou par la puéricultrice pour les enfants et la collaboration
avec les assistantes sociales jouent un rôle important auprès de ces patientes
qui sont souvent dans des situations socio-économiques difficiles et
fréquemment atteintes de pathologies. Cette collaboration aide notre travail en
participant grandement à l’élaboration de cette « enveloppe soutenante »
que nous essayons de tisser autour de ces femmes fragilisées par la migration,
leurs conditions de vie et la grossesse.
Notre travail a pour but
de les aider à sortir de ces états anxio-dépressifs et des les aider à établir
une relation satisfaisante avec leur bébé, jouant ainsi un rôle clé dans la
prévention de futurs troubles physique, psychologiques et/ou comportementaux de ces
enfants.
Cette manière de fonctionner se
révèle efficace et nous a déjà permis de dénouer ou d’améliorer des situations
qui jusque là n’avaient pas pu l’être.
Un
programme similaire à celui que nous vous proposons avait été mis en place
entre 2004 et 2013 à la maternité des Bluets à Paris. Une cinquantaine de femmes y ont été suivies, la majorité
venant d’Afrique sub-saharienne mais nous avons également eu des patients
originaires du Maroc, de la Tunisie, d’Egypte, de l’ile Maurice, des Comores,
du Sri Lanka, d’Inde, de Chine, du Japon et du Mexique.
La prise
en charge a consisté en 2 à 6 séances de médiation transculturelle, chacune
durant 1h30 à 2h.
Ces
séances démarraient en prénatal et se
sont poursuivies en post-natal pendant 1 à 2 mois en moyenne.
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