Programme de soutien à la parentalité pour les jeunes mères migrantes et réfugiées

Par : Claude Egullion le 13/03/2017

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Les femmes enceintes ou jeunes mères migrantes, réfugiées, fragilisées par leur  situation de grande précarité ici et par des parcours migratoires où la violence a été omniprésente, sont de plus en plus nombreuses en région parisienne.
Nous menons des programmes qui s’adressent à elles et à leurs enfants. Ils visent à améliorer le suivi de leur grossesse et de ses suites immédiates ainsi qu’à la prévention des troubles de la relation précoce mère-enfant et de ses conséquences à long terme sur la santé de l’enfant.
Ces programmes comportent 2 volets :
Des groupes de parole correspondant à une préparation à la naissance et à la parentalité adaptée au contexte spécifique dans lequel se trouvent ces jeunes femmes.
Des consultations de médiation éthnoclinique qui s’appuie sur la psychanalyse et l’anthropologie, pour celles qui nécessitent une prise en charge psychothérapique.     

Les groupes de parole : « L’arbre à Palabres »
   

La grossesse est  une période de fragilité particulière.  Elle fait resurgir les traumatismes anciens ou dévoile les conflits internes mais aussi ravive ”le monde d’avant”.
 

Chez ces femmes, aux difficultés habituelles liées à la maternité viennent se surajouter celles liées à une histoire souvent traumatique (beaucoup ayant dû faire face à de grandes violences, dans leur pays ou au cours de leur trajet). La migration et à l’appartenance à plusieurs cultures compliquent la situation. Elles vont en effet vivre un des actes fondamentaux de leur vie de femme dans un monde étranger, loin de leur soutien traditionnel et « cet acte engage leur descendance, ceux qui naîtront dans cet ailleurs » nous dit M R Moro.

En outre, elles vivent souvent très isolées, dans un contexte de pauvreté, d’exclusion et sont plus souvent porteuses de pathologies parfois négligées. Ces difficultés en interférant vont se renforcer et générer  des pathologies obstétricales, des suivis chaotiques, de l’anxiété et des dépressions.
Ces troubles, si on les laisse évoluer, vont interférer dans la relation de cette mère avec son enfant et mettre en jeu la santé physique et mentale future de celui-ci. Si associe également un risque de maltraitance quand cette mère est dans l’incapacité psychique de porter l’attention nécessaire à son enfant.    


A la maternité des Bluets depuis les années 50 et F Lamaze, les dimensions psychiques, sociales puis culturelles avaient été prise en compte dans le suivi des futures mères. J’y avais créé en 1995 et coanimé pendant près de 20 ans, de 1995 à 2013, un groupe de parole pour les patientes migrantes ce qui nous avait permis d’améliorer le suivi, la compliance aux soins et le soutien émotionnel des futures mères migrantes et en situation de précarité.
 

Dans le cadre de mon travail à l’association AHUEFA, il m’a  paru pertinent de créer des groupes de paroles similaires à celui des Bluets dans différents lieux de Seine Saint Denis. Nous avons le projet d’en créer également sur Paris.
Les futures mères que nous voulons prendre en charge sont fragiles, souvent  seules, déprimées et ont du mal à se déplacer. Aussi, nous envisageons de les rencontrer dans les lieux où elles sont suivies ou hébergées.
De tels groupes fonctionnent déjà en Seine Saint Denis. Un 1er groupe a démarré en mai 2015 dans les locaux de l’hôpital de Montreuil. Les femmes qui participent à ce groupe nous sont adressées par les différentes PMI de la circonscription de Montreuil ou par le personnel soignant de l’hôpital.
Un 2ième groupe a démarré en juin 2016 à l’association La Marmite à Bondy, un jeudi par mois après le repas distribué gratuitement, ce qui me permet de rencontrer de nombreuses femmes enceintes ou ayant de très jeunes enfants et en situation de grande précarité.  

Ces groupes ont pour objectif :
- d’aller à la rencontre des patientes migrantes les plus précaires, fragiles ou en difficulté de par leur histoire personnelle, leur isolement et d’établir le dialogue entre elles et nous.
- de leur procurer un lieu où elles peuvent exprimer leurs craintes, leurs angoisses mais aussi leurs éventuelles incompréhensions d’ici et où elles peuvent évoquer ce qu’elles ont laissé derrière elles.
- de les informer sur le fonctionnement de l'hôpital, l’organisation des soins en dehors de l’hôpital, les raisons du suivi médical, les raisons de certaines décisions médicales, etc…) et d’insister sur les ressources de la PMI.
- d’essayer d’apporter des réponses adaptées aux incompréhensions et conflits que les différences culturelles peuvent parfois générer et que peuvent provoquer des décisions médicales mal comprises.
- de leur procurer un peu du soutien dont toutes femmes enceintes a besoin et dont manque tellement celles qui sont loin de leur famille et de leurs racines.  

Ce programme procure un espace où ces patientes peuvent s’exprimer dans un rapport différent avec les soignants.
Elles s’y rencontrent autour de leur situation commune, une grossesse en terre étrangère, quelle que soit leur origine. Elles apprécient de pouvoir partager le souvenir de leur vie et des coutumes de leur pays. Ces évocations constituent un élément important de la dynamique du groupe et dans l’instauration d’un climat de confiance et de dialogue. 
Entre 2 mondes, ces femmes vont avoir à s’adapter aux normes et contraintes d’ici, à nos façons de faire tout en continuant à utiliser certaines techniques de maternage culturellement importantes pour elle. C’est ce métissage, qui va leur permettre de se sentir de « suffisamment bonnes mères » et les aider à établir une bonne relation avec leur enfant.
De par les échanges avec nous et grâce à l’interaction avec les autres femmes présentes, nos groupes de parole  peuvent les aider dans ce travail de métissage. Ils les aident aussi à lutter contre les sentiments d’inadéquation et d’incompétence que peuvent développer ces jeunes mères loin de leurs repères et soutiens traditionnels, d’autant plus qu’elles sont confrontées ici à une situation précaire et à de nombreuses difficultés.
Le groupe joue à plein un rôle d’enveloppe et de milieu de médiation.
Des amitiés s’y nouent. Beaucoup pour la 1iere fois osent parler des ruptures ou des traumatismes qu’elles ont subi (viol, mariage forcé, enfants laissés au pays, etc.)
Il permet de résoudre un certain nombre de problèmes et d’améliorer significativement le suivi et le vécu de beaucoup d’entre elles.    


La consultation ethnoclinique:
 

Repérées dans les groupes de parole ou adressées par le personnel soignant ou psycho-social qui les prennent en charge, certaines de ces futures ou jeunes mères sont en grande détresse, traumatisées, angoissées. Elles n’arrivent plus à faire face et développent des dépressions sévères, parfois larvées et des états anxieux très préoccupants.
Pour celles-ci, AHUEFA propose une prise en charge psychologique avec une approche transculturelle par la médiation ethnoclinique  qui s’appuie sur la psychanalyse et l’anthropologie.  

Que la problématique de la mère soit liée aux violences qui l’ont amenée à fuir son pays ou qu’elle a subi durant le trajet ou encore  à des traumatismes plus anciens en relation avec son histoire personnelle ou familiale, le fait de vivre dans une culture autre que la sienne, loin de ses repères va toujours imprimer sa marque et est un facteur d’aggravation.
 

D’autre part, la grossesse et ses suites immédiates abaissent les barrières entre conscient et inconscient et on a pu parler de « d’inconscient à ciel ouvert». C’est un temps particulièrement propice au travail psychothérapique car si cette « inconscient à ciel ouvert » favorise l'expression des conflits, il permet également de cheminer rapidement et quelques séances durant cette période sensible  vont parfois pouvoir résoudre ce qui en temps normal aurait mis des mois à s'élaborer.
 

Chez les patientes immigrées, la « psychothérapie classique » est souvent mise en défaut et donne le sentiment de ne pouvoir aller au-delà d'une certaine limite. En effet, les violences subies peuvent être indicibles ou envahissantes et si les troubles psychiques sont universels, leur traduction, leur expression sont imprégnées et modifiées par la culture. La façon de les aborder doit tenir compte de cette dimension. Seuls, des psychothérapeutes formés à l’éthnopsychiatrie, à l'approche transculturelle et à la clinique du traumatisme vont pouvoir aider ces patientes en prenant en compte l'ici comme le là-bas et en prenant appui sur les deux cultures.  

Les futures mères que nous voulons prendre en charge sont fragiles, souvent très déprimées et ont du mal à se déplacer. Les envoyer dans un lieu spécifique pour ce travail psychothérapique est rarement possible. Par contre nous envisageons de les rencontrer là où elles sont suivies (elles ou leur enfant) ou dans les lieux où elles viennent chercher de l’aide ou sont hébergées.  

Les séances sont dirigées par une ethnopsychologue (psychologue-anthropologue)  L Ekoué, directrice de l’association AHUEFA, assistée d’un autre psychologue et d’un médecin obstétricienne également formés à l’ethnopsychiatrie, d’un interprète (formé et faisant également partie de l’association).
Le groupe thérapeutique constitué ainsi autour de cette patiente inclura si possible un ou des soignants ou personnel déjà impliqués dans le suivi de cette patiente ou de son enfant.
Le nombre de séances varie en fonction des besoins et de l’évolution de chaque patiente. Elles sont vues en moyenne 5 à 6 fois.
Ce type de prise en charge est particulièrement adapté quand ces femmes relient directement leur malaise à des problèmes ayant entrainé la migration ou survenu du fait de cette migration ou celles qui présentent une symptomatologie codée culturellement.
Le suivi par la sage-femme de PMI ou par la puéricultrice pour les enfants et la collaboration avec les assistantes sociales jouent un rôle important auprès de ces patientes qui sont souvent dans des situations socio-économiques difficiles et fréquemment atteintes de pathologies. Cette collaboration aide notre travail en participant grandement à l’élaboration de cette « enveloppe soutenante » que nous essayons de tisser autour de ces femmes fragilisées par la migration, leurs conditions de vie et la grossesse.    

Notre travail a pour but de les aider à sortir de ces états anxio-dépressifs et des les aider à établir une relation satisfaisante avec leur bébé, jouant ainsi un rôle clé dans la prévention de futurs troubles physique, psychologiques et/ou comportementaux de ces enfants.

Cette manière de fonctionner se révèle efficace et nous a déjà permis de dénouer ou d’améliorer des situations qui jusque là n’avaient pas pu l’être.  

Un programme similaire à celui que nous vous proposons avait été mis en place entre 2004 et 2013 à la maternité des Bluets à Paris. Une cinquantaine  de femmes y ont été suivies, la majorité venant d’Afrique sub-saharienne mais nous avons également eu des patients originaires du Maroc, de la Tunisie, d’Egypte, de l’ile Maurice, des Comores, du Sri Lanka, d’Inde, de Chine, du Japon et du Mexique.
La prise en charge a consisté en 2 à 6 séances de médiation transculturelle, chacune durant 1h30 à 2h.
Ces séances démarraient  en prénatal et se sont poursuivies en post-natal pendant 1 à 2 mois en moyenne.  

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