La médiation au sens thérapeutique de Solange Faladé à l’épreuve d’une transmission inconsciente et transgénérationnelle

Par : Léocadie EKOUE, Claude EGULLION, Rogini SAGADEVIN, Fresner ANDRE, Keziban AYINTAPLI le 29/07/2019

L’association Ahuefa International France, fondée en 1996 en Ile de France par Léocadie EKOUE s’inscrit dans la continuité de la pensé du Dr Faladé sur les notions de transmission et de médiation. Ahuefa fait partie de ces associations qui ont contribué à penser la thérapie familiale au sens ethnopsychanalytique en France. A la différence des autres associations, Ahuefa a un substrat anthropologique qui est étroitement lié au parcours initiatique de sa fondatrice. En effet, Léocadie EKOUÉ est à la fois psychologue clinicienne et Anthropologue. Ses nombreuses expériences dans le champ de la maternité laissent entendre le sens tout particulier du travail de soutien psychologique de l’association aux enfants et familles avec le support de la théorie psychanalytique.
L’association Ahuefa pratique la médiation ethnoclinique suivant une conceptualisation de Léocadie EKOUE inspirée de la notion de transmission psychique inconsciente et de la notion d’appareil psychique groupal de Kaës [1].

L’objectif de cet article est d’expliciter les bases de la clinique telle qu’elle est pratiquée au sein de l’association Ahuefa. Aussi, cet écrit a pour but de restituer la chronologie et les contours de cette clinique nommée Médiation ethnoclinique. 

Dans un premier temps, nous allons relater quelques éléments historiques pour mieux saisir la construction de cette clinique au fil du temps, puis dans un second temps nous reviendrons brièvement sur le sens de la clinique de la médiation à Ahuefa.   

Quelques éléments historiques

La notion de médiation est apparue dans le champ de la clinique pour la première fois en 1982. 
Cette même année, Léocadie Ekoué à la recherche d’un directeur de thèse participe au séminaire du professeur Sow à l’université Paris 7.  Ainsi, elle intègre ce séminaire de recherche autour de l’interculturalité. Dès les premiers mois, le Pr Sow est sollicité par Solange Faladé(1) médecin psychiatre et psychanalyste lacanienne, pour participer à la mise en place d’une consultation intitulée médiation psychoculturelle à la maternité de Baudelocque (actuellement Port Royal). Cette proposition a été faite à partir de l’expérience clinique de Yannotti-canon, alors psychanalyste lacanienne également au sein de cette maternité. C’est dans ce cadre, que le Pr Sow et son équipe se sont trouvés impliqués dans cette nouvelle démarche clinique. Cependant, ce groupe de travail s’est terminé au bout de deux ans. 

Après cela, Solange Faladé a demandé à rencontrer Léocadie EKOUÉ, pour lui proposer une recherche autour de la médiation comme outil de soin psychique. De ce qu’il fallait entendre de cette rencontre, c’était que Solange Faladé avait compris que ces manifestations psychopathologiques en périnatalité posaient la question du sens. Ce qu’elle devait partager avec Yannotti-canon ceci explique la nécessité d’une véritable recherche universitaire. Elle en proposait le suivi et l’encadrement à Léocadie. Aussi avait-elle pensé à faire la proposition à Léocadie EKOUE dont elle aurait suivi la recherche et l’encadrement.  Cette proposition a déclenché une longue maturation qui a pris de nombreux détours pour cette dernière, dans le cadre de son doctorat qui l’a conduite au Mali et au Togo. Elle s’est intéressée aux prises en charge traditionnelles proposées dans le cas de la mort in utero et plus largement sur l’approche du soin dans la dimension du sujet. Ce travail de longue haleine a structuré une approche du sujet, de la notion de personne qui prend en compte les différentes modalités de soins et la manière dont elles peuvent s’articuler. 

Pour poursuivre la démarche doctorale, après le départ du Pr Sow de l’université Paris 7, Léocadie Ekoué s’est inscrite à paris 5 auprès de Louis Vincent Thomas, directeur de recherche et spécialiste des recherches sur la mort en Afrique. En tant que doctorante en anthropologie sociale et sociologie comparée, Léocadie EKOUE a aussi suivi le séminaire du laboratoire de recherche 221 du CNRS dirigé par Jacques Cartry, directeur de ce laboratoire. La première rencontre avec Cartry s’est faite dans le cadre d’un enseignement qu’il donnait sur les religions à l’école pratique des hautes études (EPHE). En effet, Cartry était sensible à la psychanalyse et son intérêt pour le sujet de thèse de Léocadie Ekoué sur la mort in utéro l’a conduit à lui permettre d’assister à son séminaire. 

Le laboratoire regroupait tous les anthropologues connus de l’époque tels que Jean Rouch et Youssouf Tata Cissé. Ce dispositif de recherche intitulé « système de pensée en Afrique noire », se consacre à l’étude des sociétés en Afrique noire.  Et cette expérience reste d’une extrême richesse pour Léocadie Ekoue. Cependant, au bout de deux ans, Jacques Cartry a compris que les dimensions psychiques et de soin restaient au centre de ses interrogations. 

C’est ainsi qu’en 1987 sur le conseil de Cartry, Léocadie Ekoué a rejoint l’équipe de Nathan à Avicennes ou elle est restée 5 ans tout en continuant sa recherche en tant que doctorante. Dès son arrivée elle a insisté sur la nécessité de faire un travail sur la notion de médiation. Ce qui a sans doute donné lieu à la création d’une formation de médiateur ethnoclinicien (ARECLIDE). Mais le contenu de cette formation s’écartait, selon elle, de la portée clinique qui véhicule le processus thérapeutique. Du reste cette formation s’adressait sans distinction aux personnes, toutes professions confondues dès lors que ces personnes parlent une langue étrangère. 

En 1994, deux après avoir quitté le groupe de Nathan elle a participé de façon intermittente pendant une dizaine d’années à la consultation de Marie Rose Moro en tant que co-thérapeute.
Tout ce cheminement a balisé une clinique spécifique qui a donné naissance au dispositif de médiation ethnoclinique telle que pratiquée à Ahuefa depuis 23 ans. Dans notre prochaine publication nous reviendrons sur les différents aspects du dispositif de médiation ethnoclinique. 

Léocadie Ekoué est habitée par la notion de médiation au sens thérapeutique depuis le jour ou Solange Faladé lui avait demandé de faire ce travail de recherche. Sa rencontre avec Solange Faladé et cette responsabilité de mener ce travail de recherche sur une clinique de la médiation qu’elle porte depuis ce jour peut être entendue dans une dimension de transmission inconsciente. De sa recherche sur la mort in utero au Mali et au Togo, Léocadie est passée par de nombreux détours avant de saisir le véritable sens du travail que Faladé lui avait confié. Si le sens de la clinique de la médiation lui est revenu quelques années après sa rencontre avec Solange Faladé, il faut croire qu’il lui a fallu du temps. Un temps de maturation pour se laisser imprégner de cette clinique qui exige une attention et une ouverture d’esprit aux divers univers de sens. Tout ceci prend un peu la dimension d’un retour de refoulé. En effet, Solange Faladé avait une justesse et une finesse qui rendait ses enseignements inimitables. 

« Il n’est pas aisé cependant de décrire ce qu’avait de si inimitable son enseignement, si précieux à ceux qui l’ont suivi. Elle racontait la psychanalyse comme une conteuse et suscitait le désir de connaître la suite de l’histoire pour en apprendre le fin mot… » [2] 

On peut retrouver dans la conceptualisation de la médiation ethnoclinique de Léocadie EKOUE une sensibilité dans l’écoute des divers univers de sens. Léocadie EKOUE écoute les sujets avec une attention et un respect de la parole. Ce qui lui permet de reprendre leurs récits avec une certaine fidélité tout en gardant jusqu’au sens de l’utilisation d’un mot. Dans une consultation, cette attention au sens des mots utilisés par les sujets était d’une grande utilité. En effet, dans sa toute première présentation la patiente disait : « Je suis une pygmée », au-delà de la référence à ces origines ethniques, cette patiente nous renvoyait en miroir les représentations des professionnels. Cette finesse dans l’analyse des éléments cliniques laisse entendre que la médiation ethnoclinique d’Ahuefa est largement traversée par la pensée de Solange Faladé. 

« Il était passionnant d’entendre Mme Faladé lorsqu’elle évoquait, avec sa formidable mémoire des faits et des textes, les difficultés de ceux qui, comme elle, avant d’être lecteurs de Lacan, en avaient été auditeurs, et de l’écouter décrire des scènes ou des exemples cliniques de l’enseignement de Lacan auxquels il lui avait été donné d’assister. Elle n’hésitait pas, lorsque cela s’avérait fécond, à revenir sur certains cas cliniques et certaines notions théoriques « comme à l’école ».

C’est le souci de Léocadie EKOUE de rendre à la Solange Faladé ce qui lui est dû qui sera à l’origine de la création de l’association Ahuefa International France où le principal intérêt est de pratiquer une clinique qui s’ouvre aux divers univers de sens. C’est justement pour ça que la présence des professionnels qui accompagnent le sujet ou la famille à prendre en charge est incontournable.

 FaladeLacan1
    - Solange Faladé et Jacques Lacan [3]



(1) : « Avec elle disparaissait un témoin irremplaçable de l’histoire de la psychanalyse en France ». Dans hommage à Solange Faladé – école freudienne




Références bibliographiques 

[1] KAËS R. 1976 - L’appareil psychique groupal. Constructions du groupe. Paris, Dunod
[2] Thiriat, J. (2004). Hommage à Madame Faladé. Figures de la psychanalyse, no10(2), 189-190. doi:10.3917/fp.010.0189.
[3] https://histoireetsociete.wordpress.com/2012/11/30/penia-et-poros-du-recit-mythique-a-levenement-historique-par-solange-adelola-falade/
Faladé S., 1991- 1993, Clinique des névroses, Paris, Anthropos, Economica, 2003.
Faladé S., 1989-1990, Le moi et la question du sujet, Paris, Anthropos, Economica, 2008.
Faladé S., 1993-1994, Autour de la Chose, Paris, Anthropos, Economica, 2012.




Auteurs:

Léocadie EKOUE, Psychologue clinicienne, Anthropologue, fondatrice d’Ahuefa.
Claude EGULLION, Médecin et ancien Chef de la maternité des Bluets
Rogini SAGADEVIN, Psychologue clinicienne et Psychothérapeute
Fresner ANDRE, psychologue clinicien, doctorant en psychopathologie clinique, laboratoire Psy-DREPI, Université de Bourgogne Franche-Comté
Keziban AYINTAPLI, Psychologue en formation, Université Paris 13 





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