L’ARBRE À PALABRES
La parentalité entre universalité et
transculturalité
Débuté en 1995 à la
maternité des Bluets, l’Arbre à Palabres est un groupe de parole dont une des principales caractéristiques est d’être transculturel
et non pas multiculturel.
En s’adressant à des
femmes enceintes ou venant d’accoucher, récemment immigrées en France, ces
groupes ont pour but de les aider à mieux intégrer dans leur propre vécu la dimension
médicale de la grossesse ici, de les soutenir dans la construction de leur
capacité à materner et dans l’établissement de
la relation avec leur enfant. En effet celle-ci se voit complexifier
dans le contexte de l’immigration
pas la pluriculturalité, la
précarité et l’isolement dans lesquels vivent la plupart, auxquelles viennent s’ajouter fréquemment des histoires de ruptures et de
violence.
Portage, soutien,
amélioration du suivi médical, prévention de la dépression post natale et des
troubles futurs de la relation parent enfant, dépistage de celles qui en détresse
psychologique nécessitent une prise en charge psychothérapique, tels sont les
buts que nous nous sommes assignés en créant ces groupes.
La naissance de l’Arbre à Palabre :
Entre 1980 et 1990, j’ai
exercé l’obstétrique dans divers pays africains et asiatiques. Mon séjour le
plus long fut au Zimbabwe où je restais durant 7 ans. J’étais responsable de l’obstétrique pour toute une
province où vivaient 1 million de femmes. Environ 65 % des accouchements avaient lieu à domicile. En plus de mon
travail d’obstétrique à l’hôpital provincial où je recevais surtout les
complications, j’ai mené tout un programme pour intégrer dans la chaîne des soins les accoucheuses
traditionnelles qui assistaient les femmes
dans les villages.
Plutôt que d’ignorer ces
accouchements à domicile ou de s’opposer à ce que ces femmes accouchent chez
elle, le système de santé d’alors
n’ayant d’ailleurs pas la
capacité de les accueillir toutes, ce programme en enseignant des mesures simples en particulier d’hygiène et la pathologie qu’il fallait absolument
transférer à l’hôpital, a réussi à améliorer de manière tangible la sécurité
des femmes et des nouveau-nés. Les bons résultats obtenus par ce programme n’ont
pas été dus qu’à notre enseignement mais aussi en grande partie grâce aux relations que le
personnel soignant avait établi avec ces accoucheuses et à la confiance
qu’elles nous ont petit à petit accordée. C’était sur elles que nous comptions et que reposait la
responsabilité de convaincre la famille de la nécessité d’un transfert à
l’hôpital mais aussi la tâche de rassurer la future mère et de l’accompagner si
possible quand elle devait être amenée à l’hôpital.
Dans les années 90, dans
les hôpitaux parisiens les patientes venues de l’étranger ont été de plus en
plus nombreuses. En ce qui concerne l’hôpital où je travaillais beaucoup
venaient d’Afrique de l’Ouest. A cette époque la majorité d’entre elles étaient
arrivées dans le cadre du regroupement familial et venaient de zones rurales. Pas
toujours familiariser avec la médecine, leur incompréhension parfois de ce qui
allait leur arriver mais aussi une façon
différente d’analyser ce qui pouvait
être bon pour elle ou leur enfant,
pouvaient générer beaucoup d’angoisse lorsque certaines décisions
obstétricales devaient être prises.
Régulièrement nous nous confrontions à des refus de soin, des tentatives pour
échapper à certaines interventions, des crises de panique en particulier en
salle de naissance, rendant difficile le travail des équipes médicales. Mais
surtout, nos gestes techniques, certaines de nos attitudes ou façons de faire lorsqu’ils
les choquaient ou étaient mal compris,
laissaient nombre d’entre elles déprimées, angoissées, déçues avec l’impression
qu’on avait trompé leur confiance.
A mon retour en France je
suis retournée travailler aux Bluets. J’avais connu cette maternité durant mes
études et leur approche qui tenait à prendre en compte toutes les dimensions de
la grossesse tant sociale, psychologique, personnelle que médicale me convenait
bien. Le dialogue avec les parents, leur implication dans toute décision
constituait l’autre valeur de cet établissement à une époque où on parlait encore
assez peu de droit des patients.
Héritière de Fernand
Lamaze, Les Bluets était la maison mère de la préparation à l’accouchement.
Nous avons voulu offrir à ces patientes migrantes la possibilité comme à
toutes les autres de se préparer. Or
pour diverses raisons, culturelles ou linguistiques essentiellement, elles ne
participaient pas aux groupes de préparation.
A l’occasion de mes expériences hors de France j’avais découvert
la variabilité des coutumes et des prescriptions autour de la naissance et l’importance de la dimension culturelle de
cet événement à la fois universel et très personnel et des enjeux de la
transmission.
C’est grâce à cette combinaison
entre ‘l’esprit Bluets’, les circonstances socio-économiques et politiques de
l’immigration d’alors et l’expérience de mes années d’exercice de l’obstétrique
hors de France qu’est né l’Arbre à Palabres.
Pour essayer de prévenir
mauvais vécus et traumatismes psychiques et éviter d’avoir à gérer des conflits
en consultation ou en salle de naissance, j’ai donc démarré ce groupe de parole
où dans une ambiance plus détendue et plus chaleureuse et sans les enjeux d’une
quelconque décision médicale à prendre dans l’immédiat, nous pouvions toutes
ensemble nous rencontrer et échanger.
Le groupe l’Arbre à
Palabre a ainsi débuté en 1995 à la maternité des Bluets.
Il s’adressait aux futures
mères, en France depuis relativement peu de temps et pas encore complétement
familiarisées avec les modalités du suivi des grossesses et des accouchements
ici. Plus occasionnellement et sur leur demande nous avons aussi accueilli des
femmes arrivées en France dans leur enfance ou nées en France mais de parents
étrangers.
Ces groupes ont
fonctionné aux Bluets jusqu’en 2014.
Devenir et évolution:
Ces groupes se
poursuivent actuellement dans divers lieux dont la maternité de Montreuil et dans
des lieux d’accueil de jour.
Ces groupes continuent à
s’adresser à des futures mères ou jeunes mères en France depuis quelques mois à
quelques années.
Par contre leur profil,
les circonstances de leur arrivée en France, leur motivations pour partir de
leur pays a évolué progressivement au cours de ces 20 dernières années et
actuellement les femmes que nous rencontrons différent notamment de celles qui
participaient au groupe à sa création.
Ces jeunes mères ou
futures mères n’arrivent plus ou du moins rarement comme avant dans le cadre d’un regroupement familial. Dans
les lieux où je travaille elles sont issues majoritairement d’Afrique de
l’Ouest ou centrale, viennent des villes et ont beaucoup plus été scolarisées qu’il
y a 20 ans.
La plupart sont
venues seules. Elles ont parfois
rencontré un compagnon sur le chemin de l’exil ou depuis leur arrivée en
France. Il n’en reste pas moins vrai que dans le groupe, nous rencontrons
essentiellement des jeunes femmes isolées, très seules, le père de leur bébé les ayant abandonné ou
s’impliquant très peu. Un nombre non négligeable de ces grossesses sont aussi
issues de viols ou de ce qui peut être qualifié de rapport sexuel
‘transactionnel’, rapport que nombre de ces femmes se voient contraintes
d’accepter pour pouvoir dormir dans une chambre à l’abri de la rue et de ces
violences.
Pour nombre d’entre elles
le projet de migration a été un projet personnel. Certaines sont venues en France dans l’espoir de
trouver du travail et d’améliorer le sort de leur famille restée au pays. D’autres ont fui une
situation familiale difficile, des violences conjugales, une menace d’excision
de leur fille ou des situations de violence politique. Au problème lié à la
migration, vient alors s’ajouter des traumatismes liés à leur histoire personnelle dans leur pays et
aux violences subies là-bas sans compter les violences subies sur le chemin de
l’exil qui sont courantes.
Beaucoup vivent dans une
grande précarité sociale, sans carte de séjour et dans l’attente d’un statut
qui mettra souvent des années à se concrétiser.
La plupart n’ont pas
d’hébergement fixe.
Celles qui ont pu un
temps être héberger par de la famille ou des amis, sont presque
systématiquement mise à la porte lorsqu’un bébé s’annonce.
Ainsi, ici aussi, elle se
retrouve confrontées à toutes sorte de violences : de la rue, conjugale,
intra familiale, administrative…
Cette itinérance, en plus
de l’anxiété propre liée au fait ne pas avoir un lieu où se poser et organiser
sa vie, les empêche de construire un réseau un peu stable d’amies fiables qui
puisse à la fois les aider et leur servir de support émotionnel et de famille
de substitution.
A partir de leurs paroles, la dynamique du
groupe :
Pour celles qui ont déjà accouché au pays, la
naissance de leurs enfants a eu lieu
dans une maternité (hôpital ou dispensaire). Elles n’ont donc plus le même
rapport avec la médecine occidentale que ce qu’on pouvait observer en 1995.
Par comparaison avec ce
qu’elles ont pu connaître des services médicaux chez elle, souvent sous
équipés, déficients, surchargés voire
maltraitants, elles sont enchantés de leur prise en charge ici et ne tarissent
pas d’éloges envers le personnel
soignant. Elle souligne leur gentillesse. Elles paraissent bien accepter les nombreuses décisions obstétricales et
interventions rendues nécessaires par des grossesses souvent compliquées car plus
ou moins bien suivies ou du fait de
pathologies associées.
Il faut dire que c’est
peut-être la première fois qu’elles font l’objet dans notre pays d’attention et
sont considérées en tant que personnes
ayant des droits. Le temps de la grossesse leurs confère soudainement
une place dans notre société et gomme pour
un temps leur invisibilité. Par contre il n’est pas sûr que cela se
poursuive ensuite.
Ainsi dans les groupes
nous pourrions nous contenter d’écouter avec satisfaction ces premières
impressions et leur expliquer les raisons et la teneur des interventions
auxquelles elles ont dû ou vont avoir à faire face, informations dont elles sont
très demandeuses.
Cependant dans un
deuxième temps, grâce à la confiance qui s’établit et souvent
lancé par une d’entre elles qui rompt le charme de ce concert de
louanges en évoquant son mal-être, sa situation
ou son désarroi devant une décision médicale, le débat devient plus
profond et plus sincère, moins convenu .
Le rôle de l’animateur du
groupe devient alors beaucoup plus subtil.
Tout en répondant aux
questions qu’elles se posent, c’est sa capacité à savoir laisser libre
l’expression et à saisir au bon moment la
parole sur laquelle d’autres vont rebondir qui va permettre que ce groupe ne soit plus un
simple groupe d’information mais bien
plus et que se mette en place une véritable psyché groupale.
Et c’est à partir de là
que le groupe va pouvoir leur procurer, même si ce n’est que d’une manière très temporaire, portage et partage.
Va alors émerger les angoisses vis-à-vis de
leur intégrité physique, de leur
capacité à accoucher puis à être mère loin de leur famille et dans ce contexte
de précarité ainsi que leurs questionnements sur ce qu’elles vont et doivent transmettre
à leur enfant.
Des effets de la narration et des échanges :
Même si les participantes
aux groupes actuels semblent assez différentes de celles de 1995,
solitude, isolement et manque de leur famille restent des sentiments tout aussi
vifs, envahissants et ravivés par la grossesse.
Même si elles manifestent
un désir plus marqué de bénéficier des avantages d’ici et de s’adapter à nos mode de maternage, certaines décisions
obstétricales ou nos habitudes autour de l’accouchement sont parfois plus
consenties que comprises et vont rester, pour certaines, source de frustrations
qu’elles n’ont pas osées exprimer jusque là.
Et c’est grâce à la
narration des expériences de chacune et aux
échanges dans un tel groupe que
chaque participante va pouvoir être amenée à se saisir de ce qui pour elle sera
pertinent pour l’aider à s’apaiser, à éventuellement trouver la signification
de son histoire obstétricale, la place de son enfant dans sa filiation, à lui
donner confiance en ses capacités de mère et à construire son histoire. Ces échanges
au sein d’un tel groupe les aident à trouver comment combiner, pour
chacune de manière très personnelle, les conceptions et façons de faire de leur
culture d’origine profondément ancrées en elles avec leur envie d’intégrer les
normes d’ici. Pour celles qui sont mère depuis quelques semaines c’est un lieu
où elles vont pouvoir prendre conscience et exprimer leur fierté d’être capable
de s’occuper seule de cet enfant, de « faire face » et du plaisir que
leur procure cet enfant.
Aller plus loin
C’est aussi un lieu où
lorsqu’elles se sentent suffisamment
portées par le groupe, certaines vont
évoquer, souvent pour la première fois, les violences qu’elles subissent
parfois au quotidien ou encore celles
qui les ont poussé à immigrer.
Cette confiance qu’elles
nous témoignent à ce moment-là nous
permet de repérer et de proposer à
celles qui ont des histoires très traumatiques ou à celles qui sont
profondément déprimées, en plus des orientations médicales nécessaires, une
prise en charge complémentaire à type de médiation ethno-clinique.
Un groupe de thérapeutes se met alors en place autour de
cette jeune mère. Ils vont l’accompagner durant sa grossesse et/ou durant ses
débuts de mère et vont entamer, en s’aidant de l’état psychique particulier de
la grossesse, un travail d’élaboration qui va à cette période progresser rapidement.
Il s’agit non seulement de l’aider mais aussi de travailler sur la relation
mère-enfant. Les effets de la dépression maternelle sur l’enfant sont
actuellement bien connus. Il ne faut pas non plus méconnaitre le risque de maltraitance
subit par des enfants de mères épuisées physiquement et psychiquement par leur
propre histoire, la précarité ici et
leur grande solitude.
Conclusion :
La grossesse déclenche
des sentiments ambivalents mais l’arrivée d’un enfant pour ces femmes reste
avant tout souvent très positif malgré les difficultés matérielles qui
risquent de se multiplier et que, nous, nous avons trop
tendance à mettre au premier plan. Premiers pas dans la reconstitution d’une
famille, cet enfant va souvent être le
symbole de la nouvelle vie qu’elles veulent se forger ici, même si cet grossesse
n’a été ni planifiée ni désirée. Il va leur donner le sentiment qu’avec lui elles
vont échapper à la solitude et représente une motivation supplémentaire à se
battre pour améliorer leur situation.
La grossesse, par la
reconnaissance de leur statut de mère par les services de santé français et les
soins dont on les entoure, les tire partiellement de l’invisibilité en leur ouvrant certains droits et l’accès à
certaines ressources.
Cependant les obstacles
qu’ils soient matériels, psychologiques ou culturels auxquels elles sont confrontées,
vont mettre à mal ces désirs et ces espoirs. Doutes et ambivalence restent leur
lot commun, facteur d’angoisse et de moments de dépression.
L’entourage dont
toutes jeunes mères a besoin leur fait cruellement défaut et est pourtant d’autant plus important qu’elles
vont avoir à s’adapter à un changement radical de leur conception du maternage
en se retrouvant seule face à leur enfant, elles qui pour la plupart ont grandi
dans des familles où l’enfant est celui de la famille voire de tout un village.
Outre faciliter le
travail d’adaptation à leur nouvel environnement et de prévention médicale et
psychologique, le travail fait dans le groupe, son portage et le sentiment
qu’elles leur donnent au fil des semaines d’appartenir à une communauté (même
si celle-ci est éphémère) va servir à beaucoup de tremplin pour envisager plus positivement
leur avenir et la construction de leur vie ici malgré toutes les difficultés et
désillusions auxquelles elles ont dû et auront à faire face.
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